Le chantier
« Gustave Roud,
Œuvres complètes »


Programme de spécialisation Histoire du livre et édition critique des textes
Cours Génétique textuelle (Daniel Maggetti)
Université de Lausanne, 20 octobre 2020
Table des matières

  1. Essai pour un paradis
  2. Exercices : transcrire et décrire
  3. Le journal
  4. Variantes génétiques
  5. Essai pour un paradis
  6. Éditions numériques
  7. Éditions numériques : technologies
Gustave Roud (1897-1976)
« Œuvres complètes »


Projet FNS, 2017-2021
Direction : Claire Jaquier et Daniel Maggetti
Collaborateurs et collaboratrices : Alessio Christen, Bruno Pellegrino, Elena Spadini, Julien Burri, Raphaëlle Lacord

I. Essai pour un paradis

II. Exercices

Exercice : transcrire
7 mars 1932
J’entre dans la chaleur moite, étouffante, obscure, deux petites fenêtres basses lancent deux jets de lumière éclatante[.] Je suis assis près du corps debout, frappé durement par le jet du jour. La tête rase, brune et verte, où je passe doucement la main, se penche sur les balais bruns que les deux mains maigres et fortes, dorées, avec l’anneau, le mince anneau d’or, lient de nœuds d’osier. Puis le visage se tourne vers moi, le sang pur, et le regard que je reçois comme un influx de joie et de tendresse. Je ne sais que dire. Je resterais là silencieux, pendant l’éternité.
Cahier « O. 1932 », f.2v (MS 4 C/4a)
J’entre dans la chaleur moite, étouffante, obscure ; deux petites fenêtres basses lancent deux jets de lumière éclatante. La tête rase, où je passe doucement la main, se penche sur ces balais bruns que les deux mains dorées, avec l’anneau, le mince anneau d’or, lient de nœuds d’osier. Puis le visage tourne vers moi, ce sang pur, ce regard que je reçois comme un influx de joie et de tendresse. Que dire ? Rester là silencieux pendant l’éternité.
Dactylogramme « Notes 1932 » f.2 (MS 1 C/1a)
11 mars 1932

Étrange intuition av[ant]-hier, tard dans la soirée. Provoquée par l’émotion inattendue, tout à fait inexplicable d’un souvenir devenu déchirant, tout à coup doué d’une résonance infinie : la chèvre de M[onsieur] S[eguin] qui s’est battue toute la nuit. Et puis à l’aube, le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea. Parmi mes larmes, je sens tout à coup, comme la plus vive des certitudes, le renversement d’après la mort qui transforme toutes les défaites des innocents en victoires. Certitude que rien, même lorsque je me retrouve dans un état d’esprit entièrement contraire, ne réussit à ébranler.

Quand Olivier hier soir m’a raconté, en y croyant, une nouvelle invraisemblable que la malice du maréchal avait forgée sur-le-champ, j’ai ressenti secrètement jusqu’au sang cette espèce d’affront et regardant ces beaux yeux clairs, bleus, rayonnants de leur pureté profonde levés vers moi, j’ai deviné, avec la même certitude, leur revanche future.

Cahier « O. 1932 », f.3r (MS 4 C/4a)

Étrange intuition avant-hier, tard dans la soirée. Provoquée par l’émotion inattendue, tout à fait inexplicable née d’un souvenir devenu déchirant, doué soudain d’une résonance infinie[.] Parmi mes larmes, je sens tout à coup, comme la plus vive des certitudes, ce renversement d’après la mort qui transforme toutes les défaites des innocents en victoires. Certitude que rien, même lorsque je me retrouve dans un état d’esprit entièrement contraire, ne réussit à ébranler.

Quand Olivier hier soir m’a raconté, sûr de la chose, une nouvelle invraisemblable que la malice d’un compagnon avait forgée, j’ai ressenti secrètement jusqu’au sang cette espèce d’affront et regardant ces beaux yeux clairs, bleus, rayonnants de leur pureté profonde levés vers moi, j’ai deviné avec la même certitude, leur revanche future.

Dactylogramme « Notes 1932 » f.2 (MS 1 C/1a)
Exercice : décrire (faire une fiche)
Exemple de fiche

  • titre
  • fonds
  • cote
  • ensemble éditorial
  • type de document (manuscrit, dactylogramme, imprimé)
  • avec annotations
  • support (feuillet, agenda, carnet, cahier, bloc-notes, enveloppe)
  • inscrument d'écriture
  • couleur d'écriture
  • date ou datation
  • étape génétique (note, plan, liste, brouillon, mise au net, manuscrit définitif, épreuves corrigées, épreuves non corrigées, original corrigé)
  • dossier génétique ou référence bibliographique
Exemples de résultats de requêtes à la base de données

Instruments d'écriture et chronologie
pas de plume bleue avant 1929
stylo feutre utilisé dans les années 1966-67 (lancé sur le marché en '63)

Instruments d'écriture et projets
stylo feutre pour Requiem (1967)
stylo bille rouge pour Rome, peintres et écrivains (1954)

III. Le journal

Cahier « O. 1932 », cahier de juin
Dédicace
À Olivier Cherpillod de Sarandin

Olivier, je te donne ces pages faites de minutes, hélas, puisqu’il n’y a pas une minute à perdre, toi par qui je sais enfin que nous sommes tout proches encore de notre innocence ; que sous un regard pur cette terre redevient peu à peu le ciel.
1er juin 1932
[…] Nous sommes saisis par cette vague, cette houle de juin – il y a ton épaule près de la mienne, et rendu au sable sec de juillet, je ne puis retrouver ni le désespoir, ni l’attente, ayant été comblé.
Trouver un enchaînement. Commencer par une grande « nuit » explication, et une somme de mon abandon, de mon désespoir, de mon attente, mais le difficile : établissement d’une chronologie : récit ? ou suite de poèmes ?
Question de facilité – et de délai ! trois semaines encore
9 juin 1932
[…] Doser l’absence, sinon l’habitude triomphera de tous mes élans. Hanté par telle image que j’aimerais composer et fixer, j’abandonne tous mes projets et l’aube nouvelle arrive en me serrant la gorge à la pensée subite des promesses à tenir et du délai chaque jour plus mince.
Au fond, ma solitude est extraordinaire.
Olivier « ressemblant », ou Aimé transfiguré ? Ce dilemme use en incertitude ma bonne volonté certaine.
30 juin 1932
Dernier soir de juin. Je redis ces mots avec solennité, en songeant au danger qu’il y aurait de vouloir toujours saisir minute par minute ce temps inouï (cette vieille erreur, combien de fois ne me la suis-je pas dénoncée !)[.] Maintenant que ce mois va se clore, peut-être le reverrai-je mieux – mais il faudrait ne pas être emporté par la houle temporelle, s’étendre sur quelque frise de sable intemporel, laisser en soi se recomposer un laps bien franc. Et déjà juillet commence.

... pause ...

IV. Variantes génétiques

Variations textuelles : types de modifications
Cahier « O. 1932 », 4 mars 32
Je ne commande pas mes sentiments ; parfois il me semble que mon corps les suscite. Parfois illuminations des sens ou de l’esprit, tout me semble venir d’un « ailleurs » souvent cité, jamais défini [tout me semble venir d’un éternel ailleurs]. D’où, depuis un mois peut-être, après le noir commencement de l’année [Depuis cette nuit que la main d’Aimé dans le soleil a vaincue], cette intérieure exultation qui ne laisse point de trêve, me tirant du sommeil avec un frémissement de tout l’être, et m’y laissant retomber la nuit avec le même bondissement. [!]
Après de longues années, des périodes d’éclat et d’éclipse, [début de phrase biffé] mon amitié jaillit enfin comme une fleur ; rien de plus lucide, de plus paisible et de plus aigu à la fois que cette profonde certitude où je trouve enfin mon repos. Je bois à cette source d’innocence. Qu’importent des lèvres souillées de leur ancienne souillure, tant de souvenirs chargés de poison. L’oubli n’est pas de toute nécessité le fait d’un lâche perpétuel.
Depuis des mois, [début de phrase biffé] les causeries, les calmes promenades. Le pays autour de nous jaune et sec sous un ciel épais et violâtre à l’horizon, puis retrouvant par degré sa transparence. […] Les toits rouges ou roses, les oiseaux consolés.
Aujourd’hui le dos au noyer de la colline, cerné [pris dans les lacs] d’une abeille infatigable j’attends son [ton] retour.
30 juin 1932
Chaque soir [jour] le champ de froment que le sentier traverse se hausse autour du corps passager [des corps passagers]. Ce soir les épis fleuris (un parfum violent) [parenthèse supprimée] atteignent mon épaule [nos épaules].
16 juin 1932
Mon feuillet [Le bras d’Aimé un instant immobile] est un combat d’ombres légères et de soleil, une danse de feuillages bleus, impalpables, sur un sable d’or.

V. Essai pour un paradis

Il me serait impossible de grossir Feuillets d’autres textes – et d’autre part, j’aimerais donner à votre collection un autre travail que j’ai commencé, qui s’appellera Vie – ou Vie d’Aimé – et sera formé de quinze à vingt proses très courtes […].
Gustave Roud à Henry-Louis Mermod, Leysin, 11 décembre 1928
Mon cahier futur reste – ma paresse aidant – fâcheusement dans les limbes, mais j’ai idée que toutes ces journées heureuses dans le soleil et l’air pur ne seront pas sans fruit.
Roud à Mermod, 1er mars 1931
« L’essai pour un paradis » prend-il forme – ou est-ce autre-chose ?
Mermod à Roud, 20 avril 1931
Ces derniers temps j’ai vécu dehors, un peu ivre au milieu d’une bise implacable, âpre et pure, et prenant un profond plaisir à vivre de la façon la plus dépouillée et la plus riche ! Ah je vous l’assure, cher ami, le Paradis serait ici même, si nous savions voir.
Roud à Mermod, 26 février 1932
Vous me dites de jolies choses sur un Paradis trouvé. Pourquoi votre cahier ne s’intitulerait-il pas « Le Paradis ». Je suis curieux de celui que vous me proposerez.
Mermod à Roud, 28 février 1932
Et le « Paradis » – pour quand – je sais que mes suggestions n’ont pas de prise sur vous. Mais cette suggestion n’est pas de moi elle est de vous. Il faut la réaliser.
Mermod à Roud, 23 mars 1932
À quoi en est le Paradis – Nous avons tous besoin de paradis.
Mermod à Roud, 16 avril 1932
Le paradis prend forme (mentale) de récit, et j’espère que cette fois le départ sera bon !
Roud à Mermod, 18 avril 1932
J’aimerais bien vous voir […] pour vous demander s’il ne serait pas indispensable que l’imprimeur reçût très prochainement, sinon la totalité, du moins le commencement de votre manuscrit.
C. F. Ramuz à Roud, 9 juin 1932
mes derniers feuillets décents ont noirci sous une plume fiévreuse et sont devenus un manuscrit au sujet duquel Ramuz et Mermod gardent un amical silence, ou qu’ils parlent « d’envoyer à l’impression » sans commentaires. Tout ça en dit long sur sa valeur. Passons donc à un autre sujet.
Roud à Steven-Paul Robert, 14 janvier 1933
J’ai donné le bon à tirer pour mon cahier, désastreux. Des sueurs froides me viennent quand je songe à sa désastreuse platitude. Cela suffira à me déclasser pour longtemps.
Roud à Robert, fin mars 1933
que je m’excuse de t’avoir envoyé en « imprimé » le petit cahier d’Aujourd’hui. C’est que j’avais hâte de voir disparaître aux quatre vents de la poste cette pile de feuillets qui multipliait horriblement une chose manquée – et que j’aurais dû déchirer sitôt écrite.
Elle est pour moi – comme toute chose manquée – pleine d’enseignements ; mais qu’est-ce que ça peut faire au lecteur ?
Roud à Georges Nicole
Tu ne sais tout le plaisir – que le mot est insuffisant ! – que j’ai eu à lire ton Essai. Et crois bien que celui que tu appelles le lecteur et que tu obliges à être ton ami, ne peut partager le jugement sévère que je devine par ta lettre que tu portes sur ce cahier. En effet l’intuition que l’on a que tu eusses désiré te détacher plus d’Aimé, ou plutôt réduire encore la pression sur toi de la « mémoire », ajoute à la beauté directe du texte une sorte de beauté indirecte qui vous serre la gorge. Dans aucune œuvre de toi, l’essentiel de ton message n’est plus perceptible, aucune non plus ne vous laisse mieux entrevoir pourquoi tu écriras encore.
Nicole à Roud, 2 juin 1933
Avec ton intuition qui me stupéfie et m’effraie un peu, tu as bien deviné que ce qui me faisait peu aimer l’Essai, c’était bien cette figure d’Aimé mal déprise de la mienne. Et malgré tout ce que tu me dis – que j’ai lu et relu avec le soin que tu devines – là-dessus, je persiste à trouver l’Essai une chose manquée – ce qui m’est d’autant plus pénible que j’y gâche le plus beau – ou un des plus beaux thèmes qui me soient accessibles.
Roud à Nicole, 15 juin 1933

VI. Éditions numériques

Éditions numériques (pas numérisées)
Catalogues



Éditions numériques
Attention!



  • RIDE: A review journal for digital editions and resources

  • MLA Statement on the Scholarly Edition in the Digital Age

VII. Éditions numériques : technologies

Quelle technologie pour quel besoin

  1. Encodage de texte : TEI
  2. Structurer l'information : bases de données
  3. Comparer les témoins : collation semi-automatique
  4. Reprise textuelle : text reuse

1. Encodage de texte

Text Encoding Initiative (TEI)

2. Bases de données



Intro to Digital Humanities. 1B: Analysis of DH projects. Johanna Drucker, UCLA
Intro to Digital Humanities. 1B: Analysis of DH projects. Johanna Drucker, UCLA
Différents types de bases de données

  • XML
  • relationnelles, tableaux (SQL)
  • orientées graphe (NoSQL)
  • etc.

3. Collation semi-automatique


Colwell, E. and Tune, E. 1964. "Variant readings: classification and use". Journal of Biblical Literature, 83 (3), 253–261.
Schmidt, D. and Colomb, R., 2009. "A data structure for representing multi-version texts online". International Journal of Human-Computer Studies, 67.6, 497-514.

Schmidt, D., 2009. "Merging Multi-Version Texts: a Generic Solution to the Overlap Problem". In Proceedings of Balisage: The Markup Conference 2009. Balisage Series on Markup Technologies, vol. 3 (2009).
Outils de collation

Parmi les plus utilisés ...

Plateforme « Variance »

4. Réemploi textuelle (text reuse)

Pour identifier citations, plagiat, intertextualité, paraphrase, etc.
Outils de text reuse

Parmi les plus utilisés (DH) ...

Exemple : Tracer et Essai pour un paradis

Impresso Project (EPFL) utilise passim

Voir : Matteo Romanello, NLP and text reuse [youtube]; Text re-use detection in a nutshell [blogpost]

Questions ?